Occupant une position centrale qui fait d’elle une ville carrefour, la ville sainte de Kairouan se dessine comme un mirage surgissant de l’immensité des plaines steppiques.
Première cité musulmane d’Afrique du Nord, son rayonnement culturel et scientifique parviendra, à partir du IXe siècle, aux confins de l’Europe et de l’Asie.Kairouan (la ville-camp) fut fondée en l’an 50 de l’Hégire, soit en 670 de l’ère chrétienne et édifiée à partir de matériaux de remploi provenant des ruines romaines qui jalonnaient la contrée.
Oqba Ibn Nefaâ, commandant des premières armées qui déferlèrent sur le Maghreb, implanta au centre la Grande mosquée et fonda la ville à côté de laquelle il installa son palais et jeta les bases de l’artère principale. Il distribua des parcelles de terrains à ses soldats et la ville commença alors son extension.
Au Xe siècle, son diamètre atteignait 4km, et elle comptait environ 100 mille habitants, une quinzaine d’artères partaient de la grande mosquée, selon une configuration circulaire qui rappelait celle de Baghdad , la « Ville ronde ».Après une naissance douloureuse, marquée par les menées berbères contre la ville conduites par la Kahéna, Kairouan prospéra à l’ère des Aghlabides qui en firent l’une des plus grandes métropoles de la Méditerranée, rivalisant avec Cordoue et Foustat (près du Caire).
Kairouan, ville intellectuelle, rayonna sur tout le Maghreb. Une académie y fut fondée dès le IXe siècle, qui se spécialisa dans la traduction, la médecine, l’astronomie, la géométrie et l’arithmétique.Mais l’un des aspects marquants de la contribution de kairouan fut le rôle spirituel qu’elle a joué dans la consolidation de la foi musulmane en Ifriqya. Mais bientôt vinrent les épreuves.
La ville résiste aux assauts des Fatimides, les contraignant à fonder Mahdia. Affaiblie par la guerre civile que se livrèrent les fractions antagonistes, elle succomba sous les assauts des Hilaliens qui la détruisirent et la pillèrent en 1057.La ville connut une renaissance relative avec les Hafsides, au XIVe siècle, puis avec les Husseinites mais sans retrouver son ancienne splendeur. En 1861, la ville ne couvrait que le quart de ce qu’elle avait été et ne comptait plus que 12 mille habitants.
Aujourd’hui, avec plus de cent mille habitants, Kairouan a retrouvé son rôle culturel et sa population.
Le promeneur dans la ville ancienne, enceinte d’imposants remparts, sera surpris par la vive présence de la tradition : dans les vêtements des Kairouanais, jebba de soie ou de toile immaculée , hayek (voile feminin) de fine couleur paille dans les gestes ancestraux des artisans courbés sur un plateau de cuivre qu’ils achèvent de sertir de fil d’argent, dans les méandres et étonnamment calmes où l’on peut surprendre parfois derrière la porte d’une maison les chuchotements d’une équipe de tapissières..
On dégustera, place Halfaouine, un café « turc » délicatement parfumé à l’eau de rose ou à l’essence de fleurs d’oranger avant d’aller saluer le chameau de Bir Barrouta, qui fait sa ronde inlassablement les yeux bandés, actionnant une Noria et ramenant une eau fraiche, celle que les kairounais croient provenir d’un long voyage depuis les terres saintes d’Arabie.